« Je n'avais jamais été dans cet état », témoigne le Pr Nicolas Girard, victime du COVID-19
PARIS 30/06 - Le Pr Nicolas Girard est pneumologue à l’Institut Curie (Paris 5). Pendant la crise sanitaire, il a assuré ses consultations en oncologie thoracique, jusqu’à ce qu’il soit rattrapé par le Covid. Sans aller jusqu’à l’hospitalisation, ce quarantenaire s’est retrouvé cloué au lit deux semaines début avril, seul et incapable de manger, trop épuisé pour lire (même ses mails) ou regarder un film. Guéri mais toujours fatigué, il a fini par reprendre le travail, très amaigri mais riche d’une relation nouvelle avec ses patients. Récit de cette expérience inédite.
« En temps normal, je serais allé travailler malgré la fièvre »
« J'ai ressenti les premiers symptômes quinze jours après le début du confinement. J'avais continué les consultations, des patients hospitalisés avaient certes le Covid mais des mesures de protection individuelles avaient été mises en place depuis début mars » se rappelle le pneumologue. Un soir de la toute fin mars néanmoins, il ressent de la fièvre, des frissons. Peu de doute sur le fait qu'il puisse être lui aussi touché par le coronavirus qui met le système hospitalier en tension.
Les consultations du lendemain sont assurées au pied levé par ses collègues pendant que lui se rend à l'Hôtel-Dieu – comme des dizaines de soignants d'Ile-de-France – pour être testé par PCR. Quelques heures plus tard, sans véritable surprise, le résultat est positif. « Comme pour ceux qui avaient une suspicion de Covid ou bien des symptômes légers, la médecine du travail de l'Institut Curie m'a d'abord conseillé de télétravailler. Cette stratégie d'éviction des personnels douteux était recommandée par l'Agence régionale de santé (ARS) ». « S'il n'y avait pas eu le coronavirus et cette organisation de santé publique, c'est-à-dire en temps normal, je serais allé travailler malgré la fièvre » concède-t-il.
Confiné
Sauf que les symptômes s'aggravent et le télétravail se transforme en… arrêt de travail, pour la première fois de sa carrière. Il s'isole pour éviter une contamination de ses proches. Outre la contagiosité, se pose aussi le problème de la difficulté de se déplacer en plein confinement. Collègues, voisins et amis s'organisent pour le ravitailler en laissant des courses dans le hall de son immeuble. Côté symptômes : pas d'oppression thoracique, une saturation correcte qu'il mesure tous les jours, mais de la fièvre, des maux de tête et une difficulté à s'alimenter. Alité, il est incapable de regarder un film, de lire ou de suivre ce qu'il se passe à l'hôpital. « Je ne lisais même plus mes mails. Cela ne m'arrive que très rarement. Habituellement, même absent, je reste toujours en contact avec mes collègues. Là, ce n'était plus le cas ».
Ses collègues s'inquiètent de son état qui se détériore et de son isolement. Faut-il l'hospitaliser ? Il est réticent, prend des antibiotiques et de la cortisone. Peu à peu, l'angoisse le gagne lui aussi : « je n'avais jamais été dans cet état », et il commence à se demander quand la maladie va enfin cesser. Après quinze jours, Nicolas Girard refait surface avec 13 kilos en moins et une fatigue résiduelle qui le poursuivra quelques semaines.
Retour à la normale ?
Il reprend donc le chemin de la rue d'Ulm. « J'aurais pu me reposer encore mais le fait d'avoir été absent avait mis les équipes sous pression. » Son retour se fait toutefois à un rythme allégé : les collègues de Nicolas Girard ont assuré certaines de ses consultations, dont le volume avait déjà diminué avec le confinement. « Beaucoup de nos patients ne se sont pas déplacés car nous avions adapté leurs traitements. Nous n'avons pas eu à déplorer de décès supplémentaires parmi eux pendant cette crise ». Dans ce service qui prend en charge les patients atteints du cancer du poumon il n'y a pas eu de retard de diagnostic imputable au coronavirus et au confinement.
Un retour à la normale pour Nicolas Girard ? Pas tout à fait. Quelque chose a changé dans son rapport aux patients. Ceux-ci remarquent son amaigrissement. « S'ils ne le savent pas, ils devinent que j'ai été malade. Voici un côté aussi inattendu que positif : ma maladie facilite la relation avec les patients habituellement sur la réserve ».
A propos de l'auteur
Marine Cygler; titulaire d'une maîtrise de biologie cellulaire et physiologie (ou master 1), et d'un DESS de journalisme scientifique, Marine Cygler collabore depuis 15 ans à des titres de presse générale comme Sciences et Vie mais aussi de presse médicale (Les Cahiers d'ophtalmologie). Marine Cygler n'a pas de conflits d'intérêt à déclarer.
Cet article est une adaptation d'un article publié sur Medscape Edition France.
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