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Dans quelle mesure une stratégie vaccinale peut-elle être éthique ? (Dr Cosyns, spécialiste de l'éthique)

Opinion

BRUXELLES 18/02 - Que penser de la stratégie de vaccination du point de vue de l’éthique médicale ? Ma vision évolue avec les connaissances, doit beaucoup à la philosophie du progrès et se double d’un questionnement constant quant à l’impact sur notre fonctionnement démocratique. Cela peut sembler assez pompeux voire prétentieux, mais n’est-ce pas aussi le cas de l’éthique médicale elle-même ? Comment déterminer ce qui constitue le meilleur exercice possible de l’art de guérir et qui sont les spécialistes de l’éthique pour approuver ou désapprouver telle ou telle approche ?

Rendre le vaccin obligatoire ?

D'un point de vue éthique, peut-être serait-il préférable d'imposer le vaccin contre le coronavirus. Pour cela, il faudrait toutefois pour commencer qu'il présente une efficacité optimale, qu'il soit sûr et exempt d'effets secondaires graves et qu'il soit facile à utiliser. Il devrait aussi avoir un impact positif évident sur la santé publique et être accessible à tous.

Le vaccin polio, recommandé depuis 1958 et administré de façon obligatoire à tous les nourrissons depuis 1967, est un exemple historique concluant, après l'expérience acquise au fil du temps et des obstacles avec le vaccin contre la variole.
 
Sur la base des informations actuellement disponibles, aucun vaccin covid-19 ne répond à ces critères. Initialement, seule la réduction du nombre d'hospitalisations et de décès reposait sur des fondements scientifiques solides et la vaccination apparaissait plutôt comme une barrière supplémentaire contre l'infection, qui « ne [dispensait] aucunement ceux qui en avaient bénéficié de l'obligation de continuer à respecter les autres mesures », comme l'infectiologue Erika Vlieghe l'a très justement fait remarquer à l'époque (bien que n'étant pas éthicienne).
 
Quoiqu'un nombre croissant de données concernant les vaccins de Pfizer et de Moderna semblent présager une protection optimale et même un blocage de la transmission du virus (remercions la diligence éthiquement discutable d'Israël et du Royaume-Uni pour ces informations), rendre la vaccination obligatoire ne servirait à ce stade qu'à apporter de l'eau au moulin de ses opposants.
 
Quelle stratégie serait la plus éthique d'un point de vue médical ?
 
Quelle approche de l'éthique médicale privilégier en cette ère d'incertitudes et de pénuries vaccinales ? Avant même la concertation de sécurité avec ses sept collègues, le ministre flamand en charge du Bien-Être Wouter Beke (CD&V) avait déjà déclaré que le Nord du pays vaccinerait en priorité les résidents des maisons de repos, simultanément dans toutes les provinces et sans distinction d'âge.
 
« L'oubli » apparent des régions wallonne et bruxelloise dans l'annonce de Wouter Beke a été rapidement compensé par deux candidats à la première piqûre encore plus âgés qu'en Flandre (102 et 101 ans respectivement vs. 96). Le ministre flamand avait sans doute quelque chose à se faire pardonner par les maisons de repos après l'échec de sa stratégie politique.
 

Bien sûr, la vaccination prioritaire des personnes âgées se défend, tout comme l'idée avancée par l'ABSYM et l'ASGB de procéder par groupe d'âge en commençant par les plus de 90 ans. Les syndicats médicaux ne sont toutefois pas membres de la task force et ne comptent pas non plus d'éthiciens dans leurs rangs. D'après les calculs de l'European Centre for Disease Prevention and Control (ECDC), la vaccination des plus de 80 ans est néanmoins l'approche la plus efficiente pour abaisser le nombre d'admissions aux soins intensifs et de décès.

Les groupes prioritaires, différents selon les pays

Reste que la stratégie adoptée diffère d'un pays à l'autre, en dépit de la recommandation de l'OMS de donner la priorité absolue aux professionnels des soins à haut risque – une approche qui jouissait d'ailleurs dans notre pays d'un large soutien sociétal.

D'après une enquête réalisée par l'UAntwerpen, les Belges estiment que c'est le personnel de soins qui doit être vacciné en premier, suivi par les résidents des maisons de repos. L'Italie et la France privilégient résolument les prestataires de soins, l'Allemagne les personnes atteintes de trisomie 21, les Pays-Bas les « groupes vulnérables pour des raisons de santé, sur la base de leurs caractéristiques individuelles » et notre pays, on l'a dit, les résidents et le personnel des maisons de repos et de soins. Des choix sans doute en partie symboliques, basés sur l'histoire nationale et sur les hospitalisations et les décès au cours de la première vague…

Le vaccin, symbole d'une société que nous voulons consolider ou au contraire repenser ? Là aussi, c'est un choix éthique ! En termes de santé publique, je suis un ardent partisan de la vaccination et de la prévention en général. C'est le bénéfice de santé pour un maximum de personnes à travers le monde qui prime, loin de toute considération boursière. Un vaccin accessible à tous.

En Belgique

Tant que ce n'est pas possible, nous devrons faire des choix. Entre-temps, notre premier groupe prioritaire est presque entièrement vacciné dans les maisons de repos, de même que les quelques chanceux qui ont pu bénéficier de la sixième voire septième dose prélevée dans les flacons Pfizer. Certains soignants qui travaillent avec des patients covid-19 ont déjà été vaccinés « en passant », même si ce second groupe est en principe prévu pour l'ouverture des centres de vaccination, cette semaine. Le troisième groupe recouvre le reste du personnel de santé. Suivront, dans l'ordre, les plus de 65 ans puis les 45-65 ans atteints de pathologies sous-jacentes.

De la théorie à la pratique

Mon meilleur ami et confrère fait partie du premier groupe prioritaire, étant également MCC. À 46 ans, Wouter Beke appartient au 5e groupe depuis qu'il a annoncé, le 2 décembre dernier, qu'il souffre de la maladie de Crohn et doit donc être considéré comme un patient vulnérable. L'assistante sociale avec qui je collabore pour mes patients sans-abri appartient au groupe 3. Ces patients eux-mêmes ne relèvent par contre pas d'un groupe prioritaire, sauf à supposer que l'on décide finalement de leur y faire une petite place, comme c'est déjà le cas en Autriche (où ils se trouvent sur la liste avec les demandeurs d'asile, juste après les plus de 70 ans).

Mon collègue de 64 ans, qu'une tumeur cérébrale a forcé l'année dernière à mettre fin à ses activités médicales, appartient aujourd'hui au cinquième groupe. Il aurait pu être dans le quatrième s'il avait eu un an de plus, dans le second s'il avait encore été capable de travailler. Je signale au passage que son traitement oncologique a dû être reporté au cours de la première vague. Il attend actuellement sa seconde opération.

Après tous ces groupes prioritaires suivront « les travailleurs endossant des fonctions sociétales et/ou économiques essentielles », qui restent à définir de façon plus précise, et enfin tous les autres… qui sont, jusque-là, priés de rester chez eux.

Le principe de la solidarité

On pourrait aussi imaginer un principe éthique solidaire dans notre pays où tous les métiers sont essentiels, où tout le monde est placé sur un pied d'égalité et devrait avoir l'opportunité de s'épanouir, de l'étudiant au technicien de surface, du préposé à l'entretien des espaces verts au directeur de théâtre (m/f/x). Chaque citoyen intéressé pourrait s'inscrire auprès de son médecin de famille ou pharmacien pour recevoir son vaccin et, tant qu'il n'y en a pas assez pour tout le monde, l'ordre de passage serait décidé par le sort. Suivant le type de vaccin (congelé ou non), l'administration de la piqûre se ferait au cabinet du généraliste ou dans un centre de vaccination.

Plus de réflexions stratégiques inutiles pour définir les groupes prioritaires sur la base de l'âge, de l'état de santé ou de la profession, de telle sorte que la vaccination pourrait se faire beaucoup plus rapidement. Et entre-temps, chacun continuerait à respecter de façon solidaire les mesures justifiées et pertinentes jusqu'à ce qu'un taux de couverture suffisant soit atteint dans la population.

Une telle vision pourrait être défendable dans l'éthique des soins telle que je l'envisage.

Ce serait aussi une confirmation de la participation, de l'émancipation et de l'autonomie du citoyen/patient/titulaire d'une procuration de soins qui pose des choix éclairés sur la base d'informations transparentes, explicitées et évolutives – pour lui-même, mais avec les autres et avec la société dans laquelle il vit et à laquelle il veut et peut donner une forme et une teneur dignes d'une démocratie.

Marc Cosyns, le 16 février 2021

 

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Marc Cosyns • MediQuality

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