Chronique d’un chaos annoncé (Dr Schiepers)
BRUXELLES 23/02 - J’ai été à la mer ce week-end. Il faisait beau et j’ai pris un plaisir inouï à regarder des enfants s’ébattre sur la plage, des familles nombreuses et heureuses, des jeunes riant une bière en main. Cela m’a tellement changé de ceux qui viennent s’effondrer en consultation : les dépressifs, les angoissés, les suicidaires, les insomniaques, les anorexiques, les psychosomatiques,… bien plus nombreux que les infectés.
Et j'avoue aussi avoir pris un malin plaisir à imaginer le pic hypertensif ou la colère noire d'un Van Ranst ou d'un Van Gucht devant ces foules insolemment heureuses au grand air.
Messieurs-dames les experts, le peuple belge vous demande de lever un instant les yeux de vos courbes, modèles et chiffres, de sortir un moment de vos cours de virologie, d'épidémiologie ou de statistiques, et de prendre des leçons de… communication. Et de psychologie. Et d'histoire. Et de philosophie.
Un peu d'histoire, ça change et ça fait longtemps. Saviez-vous qu'il y a 50 ans sévissait la grippe de Hong Kong qui a fait un million de victimes ? Mais la société de l'époque n'a pas étouffé sa jeunesse comme le fait celle-ci, et Woodstock est resté davantage dans les mémoires. Que s'est-il passé en 50 ans pour que notre rapport à la mort aie tellement changé ? (un peu de philo cette fois).
Les psychologues ont enfin droit au chapitre ces dernières semaines. Ils ne cessent de clamer que l'être humain est un animal social qui a besoin de contacts et de perspectives. Imposer un « Tenez bon » sans y ajouter « jusqu'à » , c'est comme écouter un orateur qui ne finit pas ses phrases. C'est inaudible.
Quand Van Gucht martèle « Les chiffres sont bons, donc ils vont devenir mauvais », il est aussi peu crédible que Monsieur Météo annonçant qu'il va finir par pleuvoir parce qu'il fait beau.
Et quand Van Ranst surenchérit : « Il est trop tôt pour applaudir », il devient évident que les cours de communication et de psychologie leur font décidément cruellement défaut.
Il ne faut pourtant pas être grand psychologue pour comprendre que ce genre de discours est devenu inaudible voire insupportable, pour une population dont les possibilités de résilience se réduisent comme peau de chagrin.
Mais nos experts trouvent peut-être leurs ressources dans leur « richesse intérieure » ? Conseil prodigué par l'intelligentsia (Leila Slimani, Goncourt 2016), bienveillant certes, mais pas à la portée de tout le monde ni à tous les âges. Quand la richesse tout court permet à peine de remplir le frigo, la littérature n'est plus d'un grand secours.
A moins que nos experts visent le Zéro Covid Absolu ? Totalement illusoire tant que les pays en voie de développement n'auront pas accès aux vaccins. L'éminent anthropologue Yves Coppens rappelait la semaine dernière : « Aucun virus n'a jamais éradiqué Sapiens, et inversement ». De plus, c'est un mauvais plan de carrière pour nos experts : on ne les verra plus à la télé.
Une artiste disait dans les médias « Fermer les lieux de culture, c'est une bombe à retardement ».
Je suis surprise qu'il n'y ait pas davantage de révoltes en Belgique. Au sud, le Français proteste, au nord le Néerlandais manifeste. Le Belge se résigne. C'est le sentiment général dans nos consultations.
Il se résigne, car il vit trop de déceptions.
- Il a connu des masques brûlés, puis des masques inutiles car manquants.
- Des contrats d'achat de vaccins bâclés (Ah bon, la 6è dose n'est pas gratuite ?).
- En MRS, des vieillards immunisés sur-vaccinés et leurs infirmières sous-vaccinées.
- Des « invitations qui restent coincées dans la machine ».
- Des bugs informatiques conviant indûment des candidats à la vaccination.
- Des deuxièmes doses gaspillées chez des patients qui n'en n'ont pas besoin (la HAS française et le Prof Fischer n'ont rien compris n'est-ce pas).
- Un avis de CSS de 54 pages sur les comorbidités totalement inapplicable sur le terrain.
A ce propos, messieurs-dames les conseillers, pensez-vous réellement que les médecins traitants (ou les logiciels DMI, ou les mutuelles, ou les pharmaciens) ont les capacités logistiques et temporelles de sélectionner les patients en fonction du chiffre de leur GFR ou du stade GINA de leur asthme ?
Et si vous redescendiez sur terre, à la page 30 exactement, là où vous écrivez que finalement le principal facteur de risque reste l'âge ? Et si vous écoutiez la première ligne (et l'ABSyM) qui vous prient instamment de revoir votre copie pour éviter les ennuis (entre autres RGPD) ?
Il est plus que temps d'être efficace, pragmatique et rapide. Il y a encore 19 pays sur les 27 de l'UE qui font mieux que nous. Et ce ne sont pas forcément les plus riches (la Grèce notamment).
Et parmi les rares qui nous suivent, il y a quelques pays de l'Europe de l'Est qui vont acheter le Spoutnik V pour rattraper leur retard.
On va vraiment finir dernier de la classe.
Pauvre B.
A propos
Dr Isabelle Schiepers est médecin généraliste à Braine-l'Alleud.
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