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Lutte contre la Covid-19 : les généralistes à nouveau écartés, mais pourquoi ? (Dr Depamelaere)

Opinion

BRUXELLES 05/03 – On ne rappellera jamais assez à ceux qui nous gouvernent l’importance de la médecine générale, y compris dans le contexte actuel. La seule voie pour sortir de la pandémie est en effet l’immunité de groupe… mais ce n’est pas une évidence, car 37 % des Belges ne veulent/ne peuvent pas être vaccinés ou sont tout simplement difficiles à atteindre.

Commençons par quelques faits, en vrac. La population attend un important assouplissement des mesures avant les vacances d'été. Nous disposerons bientôt de deux vaccins pouvant être conservés à la température d'un réfrigérateur (ceux d'Astra-Zeneca et de J&J). Le Conseil Supérieur de la Santé (CSS) a enfin pris conscience que ces vaccins peuvent également être utilisés chez les plus de 55 ans.

L'intérêt d'une stratégie de vaccination en une dose, par contre, continue (malheureusement) jusqu'ici à lui échapper, bien que des données en provenance du Royaume-Uni confirment que 90 % des plus de 85 ans produisent déjà des anticorps après une seule piqûre. Le report provisoire de la seconde n'ouvre-t-il pas pourtant la perspective d'un rappel offrant une protection plus large, qui inclurait les variantes britannique, brésilienne et sud-africaine ? On peut donc se demander ce qui retient encore nos décideurs de mobiliser notre bataillon de généralistes motivés pour placer la Belgique dans le peloton de tête européen de la vaccination…

Après que les incompétents de Sciensano aient, au cours de la première vague, interdit aux généralistes de tester les patients ne répondant pas à la « définition de cas », même lorsqu'ils subodoraient que quelque chose ne tournait pas rond, des milliers de super-contaminateurs potentiels ont continué à miner notre système de santé.

Les pharmaciens peuvent vacciner, mais pas les généralistes ?

À présent, c'est Wouter Beke [le ministre flamand en charge notamment de la santé] qui prend la décision tout aussi absurde de permettre aux pharmaciens d'administrer des vaccins, tandis que les généralistes sont tenus à l'écart. Les jeunes, les travailleurs de l'horeca, les personnes âgées non vaccinées (soit les 86 % d'hommes et 73 % de femmes qui ne vivent pas en maison de repos) viennent de plus en plus se plaindre à leur médecin de famille. De par leur mobilité plus grande, ces séniors devraient pourtant jouir de la même priorité que leurs homologues des MRS, qui se bornent finalement souvent à faire quelques pas dans les couloirs en poussant devant eux leur déambulateur. Et que dire des métiers de contact non médicaux, qui voient des clients tous azimuts ? Pourquoi n'ont-ils pas été vaccinés avant l'assouplissement des mesures ?

En tant que médecins de famille, nous pouvons nous efforcer d'apaiser les esprits, certes, mais il faudrait à tout le moins que notre expertise soit revalorisée. Les généralistes s'efforceront tous au maximum de vacciner le plus rapidement possible leurs patients les plus vulnérables… dès qu'on leur en donnera l'occasion !

L'immunité de groupe reste, pour l'heure, un rêve lointain

Comme le résume très bien le quotidien De Tijd dans son édition du samedi 27/2 (p.15), il y a en effet :

1) Ceux qui ne peuvent pas être vaccinés (soit 22 % de la population) : les moins de 18 ans, les patients gravement allergiques, les patients oncologiques sous traitement immunosuppresseur et peut-être même les femmes enceintes… du moins si l'on suit les recommandations du Conseil Supérieur de la Santé… nonobstant le fait que le Pr Van Damme dispose de preuves convaincantes en sens contraire.

2) Ceux qui ne veulent pas (10 à 20 % ?) : aux Pays-Bas, 10 à 15 % de la population refusent tout net d'être vaccinés et 10-15 % supplémentaires sont encore très hésitants. Philippe De Coene (sp.a), échevin en charge des affaires sociales à Courtrai, observe toutefois que la fraction du personnel des maisons de repos et de soins catégoriquement opposée au vaccin est tombée de 20 % à 3 %.

En ce qui concerne les spots publicitaires, dépliants, vidéos sur les réseaux sociaux et outils en tout genre destinés aux autorités locales, rappelons au passage que les opposants aux vaccins se méfient de tout ce qui vient des pouvoirs publics. Il faudrait avant tout des discussions, des échanges pour faire grandir la confiance… or qui jouit d'une plus grande confiance dans la population que le médecin de famille ? Dès que le patient a marqué son accord, celui-ci peut en outre passer immédiatement à l'administration du vaccin sans laisser le temps au doute de refaire surface.

3) Ceux qui sont difficiles à atteindre (15 % de la population) : les sans-papiers, les sans-abri ou sans domicile fixe, les personnes qui vivent dans une relative précarité, celles qui ne possèdent pas de connaissances de base suffisantes en matière de santé (environ 10 % de la population). Comme l'explique dans De Tijd le Pr Sara Willems, spécialiste des difficultés socio-sanitaires dans les soins de santé à l'UGent, « Ces personnes n'ont pas les aptitudes nécessaires pour comprendre un courrier médical, ne savent pas comment annuler ou déplacer un rendez-vous… L'invitation à se faire vacciner est beaucoup trop compliquée : une lettre complexe de trois pages avec un code QR, plusieurs codes de vaccination interminables et, surtout, énormément de texte. »

L'auteur de l'article en conclut que, à côté des grands centres de vaccination, il faudrait pouvoir disposer d'équipes de quartier qui viennent vacciner à domicile. « Les personnes peu mobiles ou précarisées ne vont pas prendre un taxi pour rallier un centre de vaccination, même si on le leur paie. » Petit détail : ces équipes de quartier, elles existent : ce sont nos 19.000 généralistes !

Sciensano peine à convaincre

J'ai déjà eu l'occasion, dans un reportage consacré au coronavirus sur une chaîne de télévision locale, de donner mon avis sur les cafouillages de Sciensano au cours de la première vague. Couper les ailes aux généralistes en leur imposant des limites très strictes lors du testing était clairement une bourde, et la définition de cas utilisée par Sciensano était ni plus ni moins qu'en retard d'une guerre. Des médecins de famille soigneusement formés sont bel et bien en mesure d'évaluer eux-mêmes qui doit être ou non testé en priorité. De même, nous sommes aujourd'hui parfaitement à même de vacciner NOUS-MÊMES en priorité nos patients les plus fragiles, après les avoir convaincus de la nécessité de le faire. Personne ne jouit d'autant de confiance parmi ses patients souvent hésitants que le généraliste.

Dans nos contrées, nous avons tendance à concentrer nos ainés les plus dépendants dans des « MRS-forteresses » qui peuvent être parfaitement sécurisées – une situation beaucoup plus facile à gérer que celle qui prévaut par exemple en Italie, où plusieurs générations se retrouvent souvent à vivre sous un même toit par la force des choses. En théorie, le tout était donc d'assurer efficacement la sécurité de ces forteresses.

À l'époque, Sciensano a pourtant donné aux directions d'établissements l'instruction contraignante de laisser leurs collaborateurs malades travailler entre des résidents en bonne santé, avec pour seule barrière un mince masque buccal. Inutile de préciser que cette stratégie a valu aux MRS d'avoir des centaines de morts sur la conscience, et il n'est pas interdit de supposer que la disparition de ces situations aberrantes a pu influencer sensiblement plus la mortalité que la vaccination obligatoire des résidents et du personnel soignant. Attribuer entièrement le recul des décès à la vaccination après quelques semaines à peine, est-ce là encore un calcul signé Sciensano ?

Le ministre fait la sourde oreille

Début décembre, il est apparu que les contaminations intrafamiliales représentaient plus de la moitié des nouveaux cas et que leur prévention était donc synonyme de bénéfice rapide. La suggestion de réaliser un petit spot pour expliquer au grand public comment prévenir les contaminations par des précautions toutes simples (utiliser autant que possible des toilettes et des serviettes de bain différentes, etc.) a été adressée à plusieurs reprises au cabinet de Wouter Beke, mais sans résultat.

Pourquoi le ministre veut-il mobiliser pour vacciner des pharmaciens inexpérimentés, sans formation et agissant de façon purement opportuniste ? Pourquoi met-il dans le même temps hors circuit le médecin de famille, vaccinateur qualifié et acteur de confiance ? Une formation a même été prévue pour les pharmaciens. C'est complètement absurde !

Les tests et la vaccination trop complexes

Plutôt que de clamer à qui veut l'entendre que les généralistes sont débordés, notre « représentant » Roel Van Giel [président de l'association de médecine générale flamande Domus Medica] ferait mieux de nous aider en œuvrant pour une simplification du testing et de la vaccination. Dans l'état actuel des choses, certains semblent toutefois prendre un malin plaisir à compliquer la situation autant que possible, avec des références ridicules, des codes doclr qui changent de jour en jour. L'annulation/la confirmation en ligne ne fonctionne pas toujours et fixer une nouvelle date semble impossible. Mercredi, au Heyzel, on a pu administrer un millier de vaccins à peine, alors qu'il faudra bientôt absorber un flux quotidien de 3.000 patients. Files d'attente à prévoir…

Hier, j'ai testé une élève qui avait été en contact avec une personne contaminée. Un mail de deux pages précise que le centre PSE envoie pour chaque test un SMS contenant un code et qu'un rendez-vous dans un centre de test peut être pris en ligne via testcovid.docl.be… après quoi il faut très soigneusement conserver le message avec le code de prescription (le 8268 f2e9 629f 4832, en l'occurrence). Peut-on m'expliquer qui a imaginé cette folie chronophage ?

Heureusement, ma patiente avait eu le bon réflexe de consulter son médecin traitant : réalisation du test, résultat avec PCR pour déterminer le variant dans un délai de 24h et, si nécessaire, communication EN-DEHORS DES HEURES DE BUREAU en cas de test positif. Peut-on faire plus simple et plus efficace ?

Appel à nos politiciens

Je voudrais donc lancer un appel à nos ministres de tutelle pour qu'ils aident les médecins de famille à se relancer dans la bataille avec leur pleine compétitivité. Sans faire appel aux généralistes, le délai entre l'arrivée d'un vaccin et son administration s'élève à 14 jours. Alors que si l'on passe via les généralistes, ce délai est considérablement réduit, ce qui permettrait à la campagne de vaccination d'enfin atteindre une vitesse maximale. Les enjeux sont importants et nous aurons besoin de toutes nos ressources humaines et de toute notre expertise.

À propos de l'auteur

Christophe Depamelaere, généraliste à Wingene

 

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Dr. Christophe Depamelaere, huisarts • MediQuality

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