Au cœur de la tourmente (témoignage du directeur médical du CHU de Liège)
LIEGE 23/11 - De la continuité des soins au report de certaines interventions chirurgicales, comment gère-t-on un hôpital universitaire en cas de crise ? Qu’est-ce qui différencie la deuxième vague de la première ? Éléments de réponses avec Pierre Gillet, directeur médical du CHU de Liège.
« L'ampleur de la crise, sa durée, et le nombre de médecins et d'infirmières pour l'affronter : voilà les principales différences entre la gestion de la première vague et celle-ci », explique Pierre Gillet, directeur médical du CHU de Liège. Des premiers cas, le 1er mars, à l'arrivée de nouveaux respirateurs, il retrace les creux et les crêtes de ces deux vagues Covid.
« En mars, en l'espace de 3 semaines, on est passé de 3 centres de référence Covid (Anvers, Saint-Pierre et CHU de Liège) à des lits Covid dans tous les hôpitaux. La crise, quand on y pense, était relativement simple à gérer : on disposait de toutes les forces vives -y compris les étudiants, on suivait le rythme de croissance de la courbe, qui évoluait très vite, soit, mais qui s'est stabilisée aux alentours du 9 avril, soit 3 semaines après le lockdown complet dans les hôpitaux, avant de redescendre. Début mai, après un mois et demi de travail très intense, nous n'avions plus aucun cas grave. Hormis la vaguelette du milieu des vacances, il a fallu attendre le 1er septembre pour connaître une augmentation significative. Au 1er octobre, les tests positifs ont explosé. Et même à partir du moment où il a été décidé de ne tester que les personnes symptomatiques, les chiffres étaient alarmants : 150 positifs par jour en mars avril, 500 par jour au 22 octobre ! »
La Wallonie, nouvelle Lombardie
La contagiosité du virus semble suivre le même chemin : « On aurait pu s'y attendre : parmi les cas de la vaguelette de cet été, on comptait surtout ce que nous appelons des super traders, capables de contaminer 100 personnes dans un auditoire, 1000 personnes en s'énervant un peu pendant un match de foot. On sait que le match Bergame-Valence a été la source du cœur du foyer européen. Aujourd'hui, d'aucuns désignent la Wallonie comme le nouveau cœur de cette deuxième vague, et Liège comme le cœur du cœur de la crise. » De la crise épidémiologique. « Le travail de tous a été orienté vers un seul objectif : faire en sorte qu'au niveaux des soins, les hôpitaux ne soient pas débordés, tout en maintenant une offre de soins conséquente pour les patients non-COVID ».
Outre l'aspect épidémiologique, Pierre Gillet pointe une différence majeure au sein des hôpitaux : « Dès le début de cette deuxième vague, les 107 hôpitaux ont connu une situation aigue, à cette différence près qu'on ne parlait ni de lockdown de la population, ni de lockdown des soins. Or, au rythme constaté des contagions en octobre, les plus optimistes parlaient de 3 semaines avant d'atteindre le pic de l'épidémie. Ce qui signifiait, pour nous, 400 patients Covid à la mi-novembre. Au 2 novembre, nous en comptons déjà 293, auxquels viennent s'ajouter les patients non-Covid hospitalisés en urgence, pour des maladies cardio-vasculaires, des grippes, des pneumonies ou des cancers. Nous avons entamé un report des soins non urgents sans attendre le CNS du 23 octobre, transféré 27 patients vers d'autres hôpitaux.
Ceux de la province de Liège sont saturés. Nous négocions H24 avec les familles, avec les hôpitaux receveurs, pour pouvoir évacuer d'autres personnes. Nous avons dégagé des espaces en fermant certains services, récupéré les infirmières des salles d'opération ». S'est alors posée, de manière cruciale, la question du staff. « Le personnel hospitalier n'est plus assez nombreux pour monter au front ! D'abord, en raison de l'augmentation du nombre d'années de spécialisation, il n'y a cette année aucune nouvelle infirmière Soins Intensifs disponible sur le marché. Ensuite, la plupart sont épuisées par la première crise, n'ont pas eu le temps de récupérer, ni de prendre des congés. Enfin, et surtout, bon nombre d'entre elles sont contaminées, donc écartées ! On compte un absentéisme pour cause de COVID de l'ordre de 10% chez les infirmières et les médecins. »
Une course folle contre le temps
Cette course contre la montre bénéfice d'avancées importantes depuis la première vague. (Voir ci-joint). « Lors de la première vague, on comptait 2/3 de patients intubés pour 1/3 sous oxygène à haut débit, aux Soins Intensifs. Nous avons pu adapter les méthodologies : aujourd'hui, on intube moins souvent. On compte 40% de patients intubés et 60% sous haut débit d'oxygène. Mais nos appareils sont proches de la saturation. Nous essayons d'en importer d'autres mais ces dispositifs commencent à manquer. Aujourd'hui, à l'inverse de la première vague, nous avons trouvé des solutions alternatives, en transformant très tôt nos blocs opératoires des hôpitaux de jour en lits middle-care. Tout cela pour que nos médecins ne soient pas confrontés au triage, au choix à faire entre deux patients. ».
Cet article est paru dans l'édition de novembre du journal "Le Patient" du CHU de Liège.
MediQuality offre à ses membres la possibilité de s'exprimer concernant des sujets médicaux et/ou d'actualité. Ces opinions reflètent l'avis personnel de leur(s) auteur(s) et n'engagent qu'eux.
Photo: copyright CHU de Liège.
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