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Enquête au sujet du burn-out : « Les médecins n'ont pas appris à prendre soin d'eux » (Prof. Laureys)

BRUXELLES 08/02 - Le professeur Steven Laureys, neurologue : « Les autorités ne peuvent plus rester sourdes à l’appel à l'aide des médecins. Aujourd’hui, il faut résoudre la question de la surcharge administrative. Les médecins qui éprouvent des symptômes de stress et de burn-out doivent avoir à leur disposition des outils qui leur permettent d’améliorer leur résilience. Pour de nombreux médecins, prendre soin d’eux-mêmes ne fait pas partie de leurs préoccupations, et ça ne leur a pas été enseigné au cours de leur formation médicale. En collaboration avec les politiques, les universités et les centres de formation, nous pouvons changer cela. »

« Je trouve que l'enquête sur le burn-out et les conditions de vie des médecins menée par MediQuality fournit des résultats intéressants. Vous avez objectivé l'énorme impact de la Covid-19 sur la charge de travail et le bien-être émotionnel des médecins. Bien sûr, il est difficile de mettre les résultats en perspective. Cela ne sera possible que lorsque vous ferez une nouvelle enquête sur le sujet, après la pandémie. Les politiques doivent comprendre que le bien-être émotionnel de nos médecins est affecté, qu'il faut y accorder plus d'attention. C'est pourquoi il est important de faire connaître et de mieux soutenir des initiatives telles que ‘Doctors4Doctors' et ‘Médecins en Difficulté'. »

Une charge administrative trop lourde

« J'ai quand même été surpris de constater que près de 9 répondants sur 10 se plaignaient de burn-out. Une part de la cause est indiquée par les médecins eux-mêmes. La charge administrative est trop importante. Aucun prestataire de soins ne choisit d'avoir une telle charge. Les politiques ne peuvent pas ignorer cet appel à l'aide, d'autant plus que les médecins sont confrontés depuis longtemps au risque d'épuisement professionnel, et plus encore aujourd'hui avec la Covid-19. Les autorités, qui ont imposé toutes ces règles et ces lois, ont le pouvoir de les simplifier au maximum et de laisser les médecins faire leur travail : soigner les gens. »

Retrouver des soins de santé plus humains

« On doit pouvoir accorder plus de place au patient. J'en fais moi-même l'expérience. Lors d'une consultation, je passe parfois plus de temps à regarder mon écran et à compléter le dossier médical, qu'à écouter réellement le patient. Être là pour lui (ou pour elle). Lui prendre la main quand c'est difficile. Faire preuve de compassion, c'est important. Avant, c'était davantage possible, parce que nous avions une secrétaire qui rédigeait les rapports médicaux. Nous devons faire beaucoup plus nous-mêmes, encoder toute une série d'éléments, et ce dans une médecine qui devient de plus en plus technique et spécialisée. Il est clair que les soins de santé doivent redevenir plus humains. Cela devrait, en fait, commencer dès la formation. Pourquoi ne pas proposer un cours sur le ‘bien-être émotionnel des prestataires de soins' ? C'est un sujet médiatisé et il existe quelques initiatives inspirantes, mais elles sont trop peu nombreuses et trop isolées. C'est dommage. On insiste encore trop sur la culture de la connaissance, on n'a pas le temps de s'occuper de ses propres émotions. Les médecins doivent avoir le temps de développer leurs capacités d'adaptation. Cela renforce leur résistance et leur permet d'assurer des prestations qualitatives sur le long terme. »

 

Accepter de se faire aider

« Trop peu de médecins présentant des symptômes de burn-out recherchent effectivement de l'aide. Ceux qui le font se tournent généralement vers un ou une psychologue (43% des répondants - bien que cela devrait être, en fait, 100%). C'est encore trop peu. Et il est remarquable que seuls 2% se tournent vers un médecin du travail. Ce qui est positif, c'est que la grande majorité des médecins sont ouverts aux initiatives de leur employeur visant à réduire le stress et le burn-out. Ils recherchent aussi eux-mêmes activement des solutions à leurs symptômes. Mon nouveau livre de pratique de la méditation est sorti récemment en néerlandais. J'espère que des conseils concrets,accessibles, pourront être utiles aux médecins, que je pourrai éventuellement les inspirer à prendre du temps pour eux, afin qu'ils se sentent mieux, qu'ils restent plus concentrés et puissent effectuer leur travail plus longtemps et avec davantage de plaisir. »

Trouver des solutions structurelles

« Les politiques devraient s'attaquer aux problèmes de stress et de burn-out de façon plus structurelle. On pourrait accorder plus d'attention et de poids à la formation continue en matière de bien-être émotionnel et la faire accréditer - comme c'est déjà le cas pour l'éthique. Cela enverrait un bon signal et permettrait de réduire considérablement le nombre d'abandons chez les médecins. »

« Je suis content de voir que des médecins souffrant de stress en recherchent la nature, cherchent à obtenir du soutien auprès de leur partenaire, de leur famille et de leurs amis, ou font du sport. Je m'attendais également à ce que certains médecins trouvent refuge dans les excès alimentaires, les médicaments auto-prescrits, le tabac ou l'alcool. 28% l'ont indiqué, ce qui doit malheureusement être conforme à la réalité. Je m'attendais à ce que le recours à l'alcool pour apaiser les tensions (plus de 10 verres par semaine pour 10% des répondants) soit plus important. »

« Le fait que près de 2 médecins sur 10 ressentent quotidiennement de la fatigue et un manque d'énergie durant les deux dernières semaines, est tout de même inquiétant. Les médecins ne peuvent pas travailler correctement de cette manière. Il est également alarmant de constater que plus de 3 médecins sur 10 disent éprouver des difficultés de concentration. Bien sûr, les médecins ne sont que des êtres humains, eux aussi, et apparemment 17% des personnes interrogées ont des pensées suicidaires. Nous savons depuis longtemps qu'il s'agit d'un problème grave, mais personne ne s'y attaque de façon structurelle. Je pense souvent à mes deux confrères qui ont mis fin à leurs jours. Il est grand temps que nous prenions des mesures préventives à cet égard. »

« Être médecin est le plus beau métier qui soit, et 65% des personnes interrogées se disent heureuses. Pourtant, notre profession pourrait encore avoir un meilleur rendement en termes de bien-être collectif, il est dommage que 18% des médecins reconnaissent être malheureux à très malheureux. Le fait que la pandémie dure depuis si longtemps a évidemment des conséquences très néfastes. Des petits problèmes se sont amplifiés et de nombreuses soupapes de décompression ont été perdues. »

« En conclusion, nous pouvons dire que les médecins peuvent prendre davantage de temps pour eux-mêmes, pour se détendre. Ce n'est pas égoïste. Si les médecins prennent soin d'eux, ils peuvent mieux prendre soin des autres. Il faut espérer qu'en 2021, les médecins pourront à nouveau s'octroyer des vacances. L'enquête montre qu'au cours de l'année écoulée, il y a eu trop peu de temps pour recharger les batteries, 75% des répondants ont pris beaucoup moins de congés. Mon conseil est d'appuyer régulièrement sur le bouton ‘pause' et d'être éventuellement ouvert à la méditation, cela ne coûte rien et peut changer positivement la vie. Accordez-vous un peu de répit. »

À propos du Pr Laureys

Steven Laureys est neurologue, chercheur, auteur de best-sellers et père de cinq enfants. Il a étudié à la VUB et travaille à l'Université de Liège, où il dirige l'unité de recherche GIGA-Consciousness. Il est spécialisé dans le fonctionnement du cerveau et de la conscience humaine, notamment chez les patients après un coma. Ses recherches ont été récompensées par plusieurs prix. Après les ouvrages ‘Un si brillant cerveau' et ‘La méditation, c'est bon pour le cerveau'. Il est également co-fondateur de la ‘Mind Care International Foundation'.

Sabine Verschelde • MediQuality

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