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« Tout le système de santé souffre, il est en décrépitude depuis des années » (Interview)

Opinion

BRUXELLES 03/05 - Actuellement assistant en chirurgie à l'hôpital d'Ixelles, Jordan Marcelis n'a pas eu la langue dans sa poche lors d'un débat tenu sur les antennes de LN24 il y a quelques jours (1). La grogne des assistants s'est amplifiée, au point d'aboutir à un arrêt de travail d'une heure ce 29 avril et de déposer un préavis de grève pour le 1er mai ainsi que – et surtout – pour le 20 mai. Interview pour mieux cerner un problème qui, en réalité, existe depuis de nombreuses décennies déjà.

Jordan Marcelis approuve ainsi les revendications générales du CIMACS (Comité Interuniversitaire des Médecins Assistant.e.s Candidat.e.s Spécialiste.s, une ASBL qui siège à Antheit). Cette dernière suggère aux médecins, en preuve de soutien, de porter dès ce 3 mai un brassard noir et d'informer les patients sur leur situation. Le CIMACS compte déjà plusieurs centaines de membres et pourrait, à terme, devenir une forme de syndicat des médecins assistants.

Pour rappel, la nouvelle proposition de "contrat de travail" faite par les fédérations hospitalières est considérée non seulement comme une absence de progrès mais comme un recul important pour les assistants. "Ils ne nous écoutent pas, ils n'ont rien compris", s'insurge Jordan Marcelis. "Notre souhait n'est pas tout simplement de recevoir quelques centaines d'euros en plus chaque mois, mais bien d'obtenir un contrat de travail qui soit en règle avec les directives européennes en matière du droit du travail. Je ne vois pas comment il serait possible de respecter ce droit simplement au travers d'un planning provisionnel de manière à respecter les 48 heures/semaine tout en conservant la possibilité de 24 heures supplémentaires.

En chirurgie notamment, nos maîtres de stage sont bien d'accord avec le fait qu'un tel horaire de travail ne nous laisse pas assez de temps pour l'apprentissage de notre spécialité. Il faut donc revoir complètement la manière dont l'assistanat doit être pensé, bien au-delà d'une histoire d'argent. Les hôpitaux nous disent en substance qu'il ne faut pas s'en faire, que leur proposition ne sera pas retenue telle quelle, et que nous conserverons le système actuel. C'est inacceptable. Les directions hospitalières semblent penser que le cri des médecins assistants est un cri isolé mais c'est faux, tout le système souffre, il est en décrépitude depuis des années."

Le soutien général des maîtres de stage

La charge de travail a augmenté au fil des années, ajoute Jordan Marcelis, qui estime que nous sommes au bord du gouffre. "Nous sommes unanimes, tant au nord qu'au sud du pays, et c'est pour cela que nous avons lancé un préavis de grève. Cela a assez duré."

Officiellement, les médecins assistants sont des stagiaires. En réalité, diplôme de médecin en mains, ils posent réellement des actes médicaux et "font tourner l'hôpital. Quand on voit un service accueillant 25 patients disposer d'un médecin senior et de trois assistants, on ne voit pas comment ce service pourrait tourner sans ce dernier. Les directions hospitalières nous tancent en évoquant le serment d'Hippocrate et la continuité des soins. Nous assumons bien entendu cette dernière, mais nous n'y  sommes pas tenus, si on s'en tient à notre statut officiel. Ceci dit, je comprends que les directions soient dépassées, mais c'est à elles qu'il revient d'interpeller directement le monde politique pour avancer."

Les maîtres de stage soutiennent-ils les assistants dans leur combat ? Oui, d'après Jordan Marcelis, mais il existerait des différences entre les facultés. "La parole est assez libre à l'ULB mais ce n'est pas le cas dans toutes les facultés. De nombreux assistants souffrent de dépression."

Un déséquilibre de main d'œuvre

Qu'est-ce qui ferait que la charge de travail aurait augmenté au fil du temps pour les assistants ? D'après Jordan Marcelis, la réponse est notamment à chercher du côté de développement des moyens diagnostiques et de ce qu'imposent les droits du patient. "Le nombre d'assistants a augmenté lui aussi, mais pas celui des médecins résidents, ce qui a induit un déséquilibre. Nos détracteurs disent qu'aujourd'hui les assistants veulent travailler moins. C'est totalement faux, le problème est celui des conditions de travail, qui sont devenues très mauvaises. Pour faire du bon travail, nous avons besoin d'un minimum de bien-être, comme tous les autres travailleurs."

L'accumulation sans fin de documents en tout genre

Un autre point crucial dans cette problématique est la charge administrative : "A titre d'exemple en chirurgie, le matin, nous avons une demi-heure top chrono pour voir tous les patients opérés la veille. Dialoguer avec les patients et répondre à leurs questions, rédiger les protocoles opératoires et les notes de suivi dont on nous martèle sans cesse l'importance juridique, répondre aux questions des infirmières qui prennent  (et je le comprends) toujours plus de place dans le système de santé etc. Ce temps est insuffisant, et il faut donc courir pour y pallier entre deux interventions. Les demandes incessantes et injustifiées des mutuelles, notamment pour divers certificats basés sur leurs modèles-type, aggravent encore la charge administrative colossale. Nous devrions, comme dans d'autres pays tels les Pays-Bas, être aidés par des auxiliaires administratifs pour remplir ces tâches."

De la critique à l'insulte

Deux réunions de concertation sont encore prévues (les 5 et 19 mai prochains) entre l'Inami, l'ABSyM, les fédérations hospitalières et les représentants des médecins assistants. D'ici-là, il faut espérer que des remarques désobligeantes du style "Les jeunes confrères sont plus exigeants que nous, avant" ne soient plus émises. Des remarques de confrères qui font fi de la réalité de la dépression et des burnout, sans compter qu'elles sont considérées comme insultantes par des familles comprenant un médecin qui s'est suicidé pour des raisons liées à l'exercice de son métier.

Référence 

1. A partir de 43'50" : https://www.ln24.be/index.php/2021-04-27/les-visiteurs-du-soir-eliane-tillieux-et-frederic-sojcher

 

 

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Dr Claude Leroy, MG • MediQuality

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