Appel du Dr Lechien à la veille d'une grève (probable) : « Candidats spécialistes : Tenez le coup ! »
BRUXELLES 19/05 - Depuis l’annonce d’une grève par les candidats spécialistes (MACCS), les témoignages de pressions et intimidations par divers médecins chefs de service, maîtres de stage ou directeurs médicaux se multiplient. Ainsi, certains candidats spécialistes ont été convoqués pour leur faire savoir indirectement qu’ils risquaient des répercussions en cas de grèves et que la validation de leur année de formation pouvait être remise en question.
Ces méthodes moyenâgeuses dignes d'une république bananière ne sont pas surprenantes, tant de nombreux médecins plus âgés n'ont jamais été capables de sortir de ce cercle infernal « d'opprimés oppressant. » Ces méthodes illégales sont inacceptables et méritent d'être dénoncées publiquement pour que les patients soient tenus au courant de la politique interne menée par certaines institutions sur leurs jeunes médecins, politique pouvant avoir des répercussions directes sur la qualité des soins de santé dans ladite institution.
Un autre argument qui est (trop) souvent avancé pour culpabiliser les jeunes médecins est l'importance de « travailler énormément pour être un bon médecin ». Cet argument est particulièrement utilisé en chirurgie où certains affirment qu'on doit voir (opérer) énormément pour savoir bien opérer. Étant moi-même chirurgien et co-responsable localement de la formation des MACCS, je ne soutiens absolument pas ce focus sur la quantité et je partage plutôt une vision de la qualité de l'acte technique chirurgical. En effet, s'il est important que le jeune médecin maîtrise les étapes clés d'une chirurgie, il n'en demeure pas moins essentiel qu'il les pratique.
Dans beaucoup d'endroits, la formation chirurgicale des jeunes chirurgiens se résume trop souvent à des petites étapes de l'intervention, comme tenir les écarteurs ou suturer la peau en fin d'intervention. Nous savons tous que ce n'est absolument pas suffisant pour autonomiser le jeune médecin, et qu'il y a de nombreuses étapes qu'il ne pourra apprendre qu'en manipulant les instruments et en opérant en première main sous contrôle d'un senior.
Par exemple, j'ai fait l'expérience avec les nombreux MACCS qui passent dans notre service à Paris. Il en ressort qu'ils apprennent davantage en réalisant -en première main- 5 thyroïdectomies totales, qu'en assistant -en seconde main- 20 thyroïdectomies totales. Cet exemple me conforte dans l'idée qu'on peut former efficacement un chirurgien en axant sa formation sur le qualitatif que sur le quantitatif ‘passif'.
S'il est bien entendu important de réaliser fréquemment une intervention pour la maîtriser, je reste convaincu que l'argument utilisé par certains maîtres de stage en chirurgie, dans le contexte de formation « passive » que nous connaissons, ne tient pas la route ; tant la formation du jeune chirurgien peut être optimisée en le laissant davantage opérer, et en le laissant moins « regarder l'opération » dans un rôle passif, pour accélérer l'acquisition d'aptitudes techniques et de réflexions chirurgicales. Ce genre d'approche me semble possible et réalisable avec des horaires respectant la loi (48-60h/s) et permettrait davantage aux jeunes chirurgiens de s'épanouir, de vivre, et d'être beaucoup plus ‘opérationnels' en salle d'opération.
Que ça soit dans l'interdiction du droit à la grève, ou dans les discours moralisateurs qui, pour beaucoup, ne sont pas démontrés, le cœur du problème reste l'existence d'un fossé de mentalités entre les jeunes et certains médecins moins jeunes. Une grande partie des jeunes médecins ne veulent pas (plus) sacrifier leurs plus belles années au profit d'une profession qui devient de plus en plus exigeante, difficile et anxiogène.
De nombreux médecins plus âgés, qui ont sacrifié une partie de leur vie sociale et -osons le dire- de leur bonheur au profit de leur métier durant de nombreuses années, estiment que les jeunes doivent suivre la même voie. Pourtant, la société a changé, les hôpitaux doivent faire plus avec moins de moyens, les soins se complexifient d'années en années et la population est de plus en plus exigeante envers les soignants, entre autres, suite à un accès plus important aux ressources d'informations en ligne (Google, etc.) qui, rappelons-le, ne sont pas toujours fiables. Ces éléments complexifient l'environnement de travail du médecin et la pratique médicale.
Cependant, nous avons, aujourd'hui, la possibilité de changer ce système, cette voie et cette façon de fonctionner afin de permettre davantage au médecin moderne de s'épanouir personnellement dans un métier qui reste fondamentalement humain. Ce fossé et ce manque d'empathie peuvent, selon mon point de vue, être accentués par la déshumanisation qui caractérise les médecins au plus ils avancent dans leur carrière et au plus ils sont confrontés à cette vision de « rentabilité » des soins de santé qu'imposent les restrictions budgétaires hospitalières. Certains médecins plus âgés ne savent plus se mettre à la place des plus jeunes. Ils sont incapables de comprendre et accepter leur souffrance et, dès lors, rentrent dans des schémas rigides, peu empathiques et perçus comme violents par les jeunes.
Pourtant, tous seront d'accord qu'un médecin heureux et en bonne santé est un médecin davantage apte à prodiguer des soins de qualité à ses patients. Les jeunes et les moins jeunes ne doivent plus s'opposer, mais doivent se parler, se comprendre et, ensemble, passer de l'évolution de la profession à la révolution des soins de santé.
Aujourd'hui, par cette probable grève qui s'annonce unique et déterminante, nous connaissons un mouvement unique et exceptionnel où les jeunes médecins sont en train d'écrire une page importante dans l'histoire de nos soins de santé et celle de notre pays. Soutenons-les, car au-delà de leurs conditions de travail, ils défendent une vision plus humaine de la santé.
Pour ma part, si mes MACCS partent en grève, je les soutiendrai, et je reprendrai leurs gardes et astreintes pour qu'ils puissent changer le système.
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