Cancer : des chercheurs belges de l’ULB dévoilent un médicament qui empêche la prolifération des métastases et entrave la résistance aux traitements
BRUXELLES 02/08 Deux articles dans Nature dévoilent comment les chercheurs ont mis en évidence un mécanisme qui dope les métastases dans certains cancers, mais aussi comment ils ont testé avec succès une molécule qui entrave cette prolifération. MediQuality a interviewé le professeur Cédric Blanpain, directeur du Laboratoire des cellules souches et du cancer de l’ULB.

Des chercheurs de l'Université Libre de Bruxelles (ULB), en collaboration avec l'Université de Lyon et Netris Pharma, ont découvert un médicament ciblant la transition épithéliomésenchymateuse (EMT) et permettant de diminuer les métastases et la résistance à la chimiothérapie des cellules cancéreuses. Ils publient leurs résultats ce jeudi dans Nature.
On connaît peu la transition épithéliomésenchymateuse. Qu'est-ce que c'est ?
On sait que les métastases et la résistance à la chimiothérapie sont les principales causes d'échec des traitements et de la mortalité des patients souffrant de cancers. La transition épithéliomésenchymateuse (EMT) est un processus par lequel les cellules cancéreuses se détachent de leurs cellules voisines et acquièrent des propriétés invasives. Il joue un rôle clé dans la formation des métastases et le développement de la résistance aux traitements anti-cancéreux. A ce jour, il n'existe pas de médicament ciblant l'EMT.
Ce mécanisme de l'EMT est-il également un mécanisme d'abord utile pour l'organisme qui s'est ensuite dévoyé, à l'image du renouvellement cellulaire qui finit par nourrir les tumeurs ?
Au cours du développement embryonnaire, l'EMT est important pour l'organogénèse et la formation des grands organes. Il est réutilisé de nouveau par les cellules tumorales pour faire tout le mal qu'on leur connaît, c'est-à-dire partir de la tumeur, aller disséminer ailleurs, former des métastases, mais aussi conférer aux cellules tumorales une résistance à la chimiothérapie et à l'immunothérapie.
Quelle est votre découverte ?
Avec nos partenaires de Lyon, nous montrons que la molécule nétrine-1, exprimée par les cellules cancéreuses dans de nombreux types de cancers, simule la transition épithelio-mesenchymateuse (EMT). Mais nous montrons surtout qu'un médicament ciblant la nétrine-1 permet de bloquer l'EMT dans le cancer. Avec Justine Lengrand, Ievgeniia Pastushenko, Sebastiaan Vanuytven et leurs collègues, nous avons découvert que les cellules cancéreuses présentant de l'EMT exprimaient des niveaux élevés de nétrine-1 et de son récepteur UNC5B. Nous montrons que l'augmentation de nétrine-1 favorise l'EMT alors que l'inhibition de la nétrine-1 diminue l'EMT. On a observé quels étaient les candidats molécules qui pouvaient stimuler cette EMT, et on a découvert la nétrine-1.
On connaissait une équipe en France qui avait créé un médicament bloquant la nétrine-1 ou en tout cas son action. Cette molécule était déjà testée sur les patients cancéreux. On a testé ce médicament dans nos modèles pré-cliniques. Cela diminuait l'EMT, les métastases et la résistance à la chimiothérapie. On a alors été vérifié chez l'homme s'il y avait corrélation entre d'un côté le taux de nétrine-1 ou de son récepteur, et de l'autre l'EMT. On s'est rendu compte que chez l'homme, c'était le récepteur UNC5B, la molécule qui lie la nétrine-1, qui était très élevée dans les cellules tumorales. Nous nous sommes demandé si en bloquant ce récepteur dans les cellules humaines, cela bloquerait aussi l'EMT. Et effectivement, pour les cellules de souris, l'inhibition de nétrine 1 diminue l'EMT. Nétris Pharma a développé un anticorps thérapeutique ciblant l'interaction entre nétrine-1 et son récepteur UNC5B. Nous avons montré que l'administration de l'anticorps anti-nétrine-1 conduit à une réduction de la formation des tumeurs et bloque l'EMT dans ces tumeurs, ce qui diminue leur capacité à former des métastases et sensibilise les cellules tumorales à la chimiothérapie.
Mieux, vous avez mené avec succès des essais cliniques sur des patientes…
Après avoir démontré l'efficacité de l'anticorps anti-nétrine 1 pour prévenir l'EMT dans des modèles animaux, nous avons ensuite collaboré avec les chercheurs et cliniciens de l'Université de Lyon et de Nétris Pharma pour étudier l'effet de ce médicament sur l'EMT chez les patientes atteintes de cancers de l'endomètre. On a administré l'anticorps anti-nétrine-1 à 14 patientes qui avaient un cancer de l'endomètre dans des essais de phase clinique. On a pris une biopsie avant et après traitement avec anti-nétrine-1 pour voir s'il y avait une diminution d'EMT dans les cellules tumorales. Et la réponse était clairement positive.
Cette étude, que nous publions aujourd'hui dans la revue Nature, a montré que l'administration de l'anticorps thérapeutique était très bien tolérée et ne montrait pas de toxicité chez l'être humain. Plus important encore, ils ont montré sur des biopsies prélevées avant et après l'administration du médicament, que cette thérapie diminuait l'EMT chez les patientes présentant des cancers de l'endomètre.
Résultat ?
C'est une grande première mondiale, nous avons découvert un nouveau médicament qui permet de diminuer l'EMT, de diminuer les métastases et de stimuler la réponse à la chimiothérapie dans des modèles précliniques. Dans une deuxième étude, nous avons montré l'application médicale de cette découverte fondamentale, et montré que cette inhibition de l'EMT pouvait être accomplie chez des patients cancéreux. Nous espérons que l'administration de l'anticorps anti-Nétrine-1 et la diminution de l'EMT va conférer aux patientes une meilleure réponse clinique à la chimiothérapie et l'immunothérapie. Sur le long terme, il faudra déterminer l'efficacité de cette nouvelle thérapie sur la survie des patientes atteintes de cancers de l'endomètre, et si ce médicament est efficace dans le traitement d'autres types de cancers présentant de l'EMT comme certains cancers du poumon ou du sein.
Ce mécanisme n'est donc pas présent dans tous les cancers ?
Il semble qu'il y ait des cancers, comme le cancer colorectal, dans lequel les métastases n'ont pas besoin du mécanisme de l'EMT pour proliférer. C'est le cas seulement dans des cancers comme celui du poumon, de l'endomètre, certains cancers du sein ou du pancréas. Il y a une série de tumeurs, en général les plus sévères et méchantes, qui présentent ce mécanisme.
Et quel est le futur espéré de cette découverte ?
Nos confrères de Lyon sont en train de recruter davantage de patientes avec des cancers de l'endomètre. L'idée est de tester si l'administration de l'anti-nétrine-1 combiné avec une chimio ou une immunothérapie peut améliorer le traitement classique que l'on donne à ses patientes, de tester s'il peut être associé à une survie de plus longue durée voire à une guérison.
Mais il est trop tôt pour pavoiser ?
Chez ces patientes, on a seulement la réponse positive à la question de savoir si le médicament est bien toléré, n'a pas d'effets secondaires et diminue l'EMT. C'est déjà beaucoup. On sait en outre que l'anti-nétrine-1 stabilise des tumeurs chez certaines patientes. Savoir si cela donne des bénéfices sur la survie et sur un grand nombre de patientes, c'est encore trop tôt pour l'affirmer. Mais c'est clairement notre espoir.
Nature 2023 DOI 10.1038/s41586-023-06372-2
Nature 2023 DOI 10.1038/s41586-023-06367-z